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Débris spatiaux : cinq questions sur les destructions de satellites en orbite autour de la Terre

La Russie s'est livrée à une démonstration de force, en tirant un missile en direction de son satellite Cosmos 1408. Seuls trois autres Etats ont déjà mené des opérations similaires : les Etats-Unis, la Chine et l'Inde.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Image d'illustration, réalisée en 2010, montrant des débris autour de la Terre. (ELECTRO OPTIC SYSTEMS / AFP)

Le satellite russe Cosmos 1408, qui orbitait autour de la Terre, s'est "éparpillé façon puzzle". La Russie a reconnu, mardi 16 novembre, l'avoir détruit grâce à un tir de missile. Elle avait pourtant, dans un premier temps, rejeté les accusations de la communauté internationale. Cette dernière pointait la responsabilité de Moscou dans l'apparition d'un nuage de quelque 1 500 débris orbitaux, contraignant les astronautes de l'ISS à se mettre à l'abri par crainte d'une collision. Pour mieux comprendre cet événement, franceinfo revient en cinq questions sur les tirs anti-satellites.

1Pourquoi détruire ses propres satellites ?

Détruire un satellite en tirant un missile depuis la Terre est une prouesse, car il faut prendre en compte la longue distance, la trajectoire de la cible et sa vitesse. Réussir ce type d'opération nécessite donc de "grands programmes civils et militaires" avec "d'importants moyens financiers", car il s'agit de manœuvres "très techniques" et "complexes", remarque auprès de franceinfo Stéphane Mazouffre, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la propulsion spatiale. Ces opérations servent à affirmer sa puissance dans le domaine militaire et spatial.

Ce n'est pas une pratique nouvelle. "Les programmes de destruction de satellite sont aussi vieux que les satellites eux-mêmes", résumait le quotidien Les Echos, en 2019. Pendant la guerre froide, les Etats-Unis et la Russie s'en servaient pour se toiser et se lancer des avertissements. Les Etats-Unis ont ainsi tenté d'afficher leur force peu après le lancement de Spoutnik 1, le premier satellite soviétique, en 1957. Washington, prise par surprise, avait réagi car l'engin pouvait survoler le territoire américain, "l'espionner, et, peut-être, délivrer de l'armement, notamment nucléaire", résume Numerama. La Nasa naît en 1958 et un premier tir américain – raté – a été réalisé en 1959. Le bloc soviétique en a réalisé un à son tour en 1963.

2Quels pays ont réalisé des tirs antisatellites ?

C'est un club très fermé qui ne compte que quatre membres : les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde. Alors que ce type d'opérations était en suspens depuis une manœuvre américaine de 1985, avec un missile lancé depuis un avion F-15, la Chine a détruit l'un de ses satellites météo en 2007, en lançant un missile depuis le sol. L'année suivante, les Américains ont abattu leur satellite espion USA-193 "alors qu'il se trouvait dans l'espace à plus de 44 000 km/h", soulignait alors le Pentagone.

L'Inde, en mars 2019, a réussi à son tour à faire voler en éclat un satellite (indien, qui tournait à 300 km du sol). "C'est un moment de fierté pour l'Inde", avait alors réagi le Premier ministre Narendra Modi, malgré les condamnations internationales.

Le spécialiste de la propulsion spatiale Stéphane Mazouffre note que la France, le Royaume-Uni ou encore le Japon sont aussi en capacité de réaliser de telles manœuvres.

3Comment ces tirs sont-ils encadrés ?

Les Etats se sont dotés de différentes réglementations. Ils doivent notamment se coordonner pour établir une marche à suivre, grâce à des "lignes directrices" établies par les Nations unies (PDF en anglais). Dans les faits, la coordination peut s'avérer fluctuante. En effet, "les lignes directrices sont facultatives et ne sont pas juridiquement contraignantes en droit international ; mais toute mesure prise aux fins de leur mise en œuvre devrait être conforme aux principes et normes applicables du droit international", peut-on lire dans le document.

>> Quelles sont les règles concernant les satellites spatiaux et leur destruction ?

Le Comité inter-agence de coordination des débris spatiaux écrit dans son rapport de mars 2020 (PDF en anglais) que "les destructions intentionnelles, qui généreront des débris orbitaux à longue durée de vie, ne doivent pas être planifiées ou réalisées". Si une destruction doit tout de même avoir lieu, elle doit être effectuée soit avec un missile qui vient frapper le satellite, soit avec un satellite destructeur qui vient exploser à côté de l'engin ciblé. Cette destruction, précise l'instance, doit survenir à des "altitudes suffisamment basses" pour limiter la durée de vie des débris ainsi générés.

4Comment interpréter cette manœuvre de la Russie ?

Moscou a d'abord écarté les accusations avant d'admettre sa responsabilité. Le ministère russe des Affaires étrangères a souligné que ce tir russe, effectué "avec une précision de rasoir", avait été réalisé "en stricte conformité avec le droit international" et n'avait "été dirigé contre personne". Irrecevable pour Bill Nelson, le patron de la Nasa, "scandalisé" par cette action "déstabilisatrice" de Moscou. "On passe à autre chose, nous assurons la sécurité de nos équipages à l'ISS et faisons des projets communs", a fini par balayer, mardi soir, Dmitri Rogozine, patron de l'agence spatiale russe, Roscosmos, après s'être entretenu avec le chef de l'agence spatiale américaine.

Si l'incident semble clos, une chose est certaine : la Russie a montré une fois de plus les hautes performances de son programme de missiles, lançant au passage un avertissement sur la scène internationale. "C'est une démonstration de force" de Moscou, tranche auprès de franceinfo Stéphane Mazouffre. Pour lui, "la Russie a une maîtrise de l'espace, donc elle s'en sert". "C'est tout le sujet de la militarisation de l'espace : c'est une démonstration de force qui permet de montrer aux voisins qu'on est capable d'aller démolir un de leurs satellites, a expliqué à LCI Christophe Bonnal, chercheur au CNES et président des commissions "Débris spatiaux" de l'Académie internationale d'astronautique. Car si on détruit un satellite étranger, c'est très clair : c'est la guerre."

Ce message de Moscou n'est pas forcément adressé Washington, selon le général Jean-Marc Laurent, responsable exécutif de la chaire Défense et aérospatial de Sciences Po Bordeaux. "L'autre grande puissance rivale dans l'espace, c'est la Chine", relève-t-il auprès de franceinfo. Il remarque toutefois que le satellite détruit mardi par la Russie orbitait à environ 600 km du sol, une orbite basse très fréquentée, où se trouve également la constellation Starlink, projet de la société américaine SpaceX, "qui va permettre d'avoir internet partout dans le monde et engendrer une menace pour les régimes autoritaires". Il souligne qu'un "effet indirect" du tir russe va être de réduire la durée de vie de ces satellites qui vont devoir manœuvrer davantage, et donc utiliser plus de carburant que prévu, pour éviter les collisions.

5Les tirs antisatellites vont-ils se multiplier ?

"En principe non, il n'est dans l'intérêt de personne de polluer les orbites terrestres [avec de nouveaux débris], qui servent à tout le monde", selon Arnaud Saint-Martin, sociologue, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des questions spatiales. "La Russie elle-même s'en sert pour le civil et le militaire", rappelle-t-il, évoquant une "opération déraisonnable et suicidaire".

Les spécialistes interrogés par franceinfo s'accordent à dire que les tirs antisatellites devraient rester exceptionnels. Il s'agit, selon eux, d'un moment particulièrement spectaculaire dans la discrète guerre spatiale. Pour le général Jean-Marc Laurent, cette guerre "déjà entamée" est "presque imperceptible pour les Terriens" alors qu'elle se "déroule de façon permanente".

"Dans la guerre spatiale, on utilise plutôt des armes par destination ou des moyens de gêne, du brouillage, du masquage, des manœuvres inquiétantes avec des satellites qui bougent hors de leur orbite, des satellites gigognes."

Jean-Marc Laurent, responsable de la chaire Défense et aérospatial de Sciences Po Bordeaux

à franceinfo

"Il est également possible de gêner les satellites depuis le sol avec des dispositifs comme des lasers mais aussi en envoyant des satellites qui vont endommager le système optique des autres satellites, leur système de navigation ou leurs panneaux solaires", poursuit Stéphane Mazouffre.

Cette guerre spatiale avait été illustrée, en 2018, lorsque la France avait condamné une tentative d'espionnage russe sur un de ses satellites, l'année précédente. Depuis la France s'est dotée d'un Commandement de l'espace, en 2019.

L'affrontement qui se joue au-dessus de nos têtes n'est pas brutal ou frontal, avec des tirs ou des combats, remarque Jean-Marc Laurent. Selon lui, comme l'a été la guerre froide, c'est une guerre dans laquelle "on évalue l'autre, on le provoque, on l'oblige à être constamment aux aguets, on le fatigue. Ce que les Russes savent très bien faire".

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