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Vrai ou faux La proposition d'Anne Hidalgo de doubler les salaires dans l'Education nationale coûterait-elle 150 milliards d'euros, comme l'affirme Jean-Michel Blanquer ?

Le chiffrage fait par le ministre de l'Education correspond au cumul des dépenses supplémentaires que coûterait la mesure sur cinq ans. Pour les représentants syndicaux, il s'agit d'un "ordre de grandeur", "sans doute surévalué", mais "pas aberrant" pour autant.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un enseignant dans une salle de classe d'une école de Montbéliard (Doubs), le 2 septembre 2021. (MAXPPP)

Anne Hidalgo promet un "grand mouvement de revalorisation des salaires" dans l'Education nationale. La maire socialiste de Paris, candidate à l'élection présidentielle, juge dans son livre-programme, à paraître mercredi 15 septembre, "possible de multiplier par deux au moins le traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves", "sur la durée d'un quinquennat"

Anne Hidalgo n'a pas chiffré le montant de cette hausse massive des salaires. La candidate a déclaré au micro de France Inter, lundi 13 septembre, qu'elle visait un chiffrage de son programme d'ici la fin de l'année. Elle n'a pas non plus expliqué comment elle comptait financer cette augmentation.

Mais le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, lui, a calculé, dans un entretien au Parisien paru le même jour, que cette mesure, qu'il a taxé de "démagogie", "aurait un coût cumulé de 150 milliards à la fin du quinquennat". Dit-il vrai ou fake 

Plus 10 milliards la première année, plus 20 milliards la deuxième...

Sollicité par franceinfo, le cabinet du ministre détaille son calcul. L'enveloppe budgétaire allouée aux salaires des personnels de l'Education nationale représente environ 50 milliards d'euros. Doubler les rémunérations sur cinq ans revient à ajouter chaque année au nouveau budget une somme correspondant à 20% de l'enveloppe initiale, soit 10 milliards. L'effort est ainsi de 10 milliards la première année (50+10=60), de 20 la deuxième (60+10=70), de 30 la troisième (70+10=80), de 40 la quatrième (80+10=90) et de 50 la cinquième (90+10=100). Soit 150 milliards de dépenses supplémentaires (10+20+30+40+50= 150) cumulées sur cinq ans.

Le ministère arrondit le montant de l'enveloppe de départ à 50 milliards d'euros. La somme figurant en face de la ligne budgétaire qui correspond à la mission "enseignement scolaire" (soit au paiement des traitements des fonctionnaires, hormis leurs pensions de retraite) est précisément de 53,6 milliards d'euros.

Un budget "sans doute un peu surévalué"

Mais sur les plus de 1,2 million de fonctionnaires que compte l'Education nationale, tous ne sont pas "au contact avec les élèves", selon la formule d'Anne Hidalgo. Si 869 300 sont des enseignants, 320 800 exercent des fonctions d'assistance éducative, d'animation, de soutien, d'inspection, d'administration, de direction, dont certaines sont assez éloignées des écoles, collèges et lycées. Tous ne seraient donc pas concernés par le doublement des salaires.

Ce budget de départ de 50 milliards d'euros est "sans doute un peu surévalué" pour une autre raison encore, juge Gilles Langlois, secrétaire national du syndicat d'enseignants SE-Unsa, sollicité par franceinfo. "Dans ce calcul, toutes les primes et toutes les indemnités sont prises en compte, or si doublement des salaires il y avait, il devrait plutôt porter sur le salaire de base uniquement, pas sur les primes ou les indemnités", fait-il valoir. 

"Un ordre de grandeur pas aberrant"

"C'est un mauvais calcul, rétorque Brendan Chabannes, secrétaire fédéral SUD Education, joint par franceinfo. Le ministre raisonne à budget et euro constants, mais d'ici 2027 le budget de l'Etat aura changé, ses dépenses et ses recettes se seront accrues. Et il faut aussi prendre en compte l'inflation." La part du budget consacré à l'"enseignement scolaire" a d'ailleurs déjà augmenté de 3% entre 2020 et 2021, en raison notamment des primes versées dans le cadre du Grenelle de l'Education. Le syndicaliste dénonce aussi une "manœuvre grossière" de son ministre, qui présente un surcoût budgétaire étalé sur cinq ans et non annuel afin de mettre en avant "un montant qui paraît tellement énorme".

Reste que 150 milliards d'euros de dépenses cumulées supplémentaires sur cinq ans, "ce n'est pas un ordre de grandeur aberrant", estime Gilles Langlois, qui reconnaît le "coût important" de la mesure proposée. "La valeur absolue peut paraître impressionnante, mais la dépense intérieure d'éducation de la France est au plus bas", relève Brendan Chabannes. La France a consacré en 2019 l'équivalent de 6,6% de son produit intérieur brut à l'enseignement, rappelle le ministère de l'Education nationale, contre 7,7% en 1995, note l'Insee.

La France "en retard" par rapport à ses voisins

"Si on regarde la situation sur le temps long, la France est en retard par rapport à des pays européens comparables, comme l'Allemagne, poursuit Gilles Langlois. Il y a une paupérisation objective des enseignants. Leur sentiment de déclassement est extrêmement fort." Anne Hidalgo fait elle aussi valoir qu'"aujourd'hui en France le salaire d'un professeur en début comme en fin de carrière est deux fois moins élevé que celui qu'il pourrait avoir en Allemagne ou aux Pays-Bas"

Les indicateurs de l'OCDE (page 413) confirment cet écart, au moins entre la France et l'Allemagne. Dans le primaire, un enseignant gagne 31 300 équivalents dollars par an en France lorsqu'il débute, contre 63 257 en Allemagne, et 55 086 à l'échelon maximal, contre 83 178 outre-Rhin. La différence est plus nette encore dans le secondaire. Le Français touche 32 941 équivalents dollars annuels en début de carrière et 56 889 à l'échelon maximum ; l'Allemand, 69 735, puis 91 510.

"Par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE, un enseignant français en début de carrière gagne 7% de moins que cette moyenne ; après dix ou quinze ans d'ancienneté, l'écart monte à 20%, évalue Eric Charbonnier, analyste spécialiste de l'éducation à l'OCDE, interrogé par France 2, qui conclut : "En France, non seulement le salaire des enseignants débutants est assez bas, mais la progression dans la carrière est très lente par rapport à la plupart des autres" pays membres de l'OCDE.

Ces salaires français relativement bas ne sont pas sans conséquences sur la profession. "Il y a un vrai défaut d'attractivité, des problèmes de recrutement aux concours, notamment en sciences", souligne Gilles Langlois. Comme le rappelle Le Monde, le ministère de l'Education nationale lui-même a comptabilisé 466 postes mis au concours et restés vacants dans le primaire et 645 dans le secondaire à la rentrée. 

Si ce doublement des salaires dans l'Education nationale n'a pas lieu, Anne Hidalgo envisage du moins, "pour commencer, d'aligner a minima le salaire des nouveaux professeurs sur le salaire médian des titulaires d'un bac +5". Là encore, le coût de la mesure reste à chiffrer.

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